C'est sous une de nos publications LinkedIn d'appel à contribution pour notre campagne de financement participatif que ce « gentil » commentaire a été laissé. Comme j'étais en plein Salon du Patrimoine, je n'y ai pas répondu, préférant ne pas réagir à chaud.
Voici donc ma réponse « mesurée », afin de remettre « la chapelle au milieu du village ».
Cher Monsieur Antoine PERNOD,
J'ignore si votre commentaire avait pour but de dissuader nos potentiels donateurs de faire un geste en faveur de nos actions contre les démolitions, mais si tel était le cas, sachez que c'est raté, puisque notre campagne de financement participatif a pris fin le 22 octobre.
Vous employez le terme « affligeant » pour définir le combat que nous avons mené contre la démolition de la chapelle Saint-Joseph à Lille. C'est votre droit, d’autant plus que j'ai un profond respect pour la liberté d'expression. Mais je tenais à éclairer quelque peu vos lanternes, car même si vous devez être un grand expert en architecture, vous avez manifestement quelques lacunes sur ce dossier.
« Combat affligeant, Dieu merci soldé »
Non, ce combat n’est pas soldé, puisque lors de l’audience de notre recours au fond en juillet 2023, la justice a reconnu la recevabilité d’un de nos deux arguments, et forts de ce premier pas vers la victoire, nous avons fait appel et nous attendons que la Cour d’Appel de Douai fixe une date d’audience. Et si nous perdons, nous retournerons devant le Conseil d’État.
Pourquoi faire me direz-vous, puisque la chapelle est démolie ?
Tout simplement pour prouver qu’il n’y avait aucune raison de la démolir et que Madame Bachelot, alors ministre de la Culture, en refusant la mise en instance de classement d’urgence a commis une faute.
Ce combat « sans fin » est certes un combat pour l’honneur de la chapelle Saint-Joseph, mais c’est avant tout un combat pour la réhabilitation des édifices religieux du XIXe dont l’avenir est menacé un peu plus chaque jour, à cause de tous ces arbitres des élégances qui, comme vous, méprisent l’architecture de ce siècle.
À ce sujet, je vous invite à lire cette tribune de Mathieu Lours, un des plus grands experts du patrimoine religieux, co-signée par plus de 100 universitaires pour plaider la cause de la chapelle Saint-Joseph :
« Avec votre philosophie, le gothique n'aurait pas remplacé le roman, le classique le Renaissance, et l'art contemporain le style pompier »
Tout d’abord, toutes les églises romanes n’ont pas été rasées pour laisser place aux églises gothiques, fort heureusement d’ailleurs et je ne pense pas que beaucoup d’églises soient rasées aujourd’hui pour construire en lieu et place des églises d’architecture contemporaine.
Quant à ma philosophie, elle consiste simplement de tenter de sauver les témoins de notre culture, quelle que soit leur époque, à l’heure ou l’uniformisation est légion dans notre pays. Je le répète ici sans doute pour la dix millième fois, mais les touristes du monde entier ne viennent pas en France pour visiter des zones pavillonnaires remplies de maisons en cube à toit plat, ou des parkings. La France est grande et attractive grâce à la diversité de son patrimoine et, à force de tout détruire aujourd’hui, il y a fort à parier que nous le regretterons demain — d’autant que, soyez rassuré, on détruit aussi des églises romanes pour en faire des parkings.
« Cette construction n’était plus une chapelle »
Certes, elle était désacralisée depuis vingt ans. Et alors ? Cela justifiait-il qu’on la démolisse ?
À l’heure où l’on nous invite à tout réparer au lieu de jeter et à tout recycler, démolir un édifice de cette ampleur me paraît être une hérésie, d’autant que nous avions prouvé que le coût de la réhabilitation était inférieur à celui de la démolition/reconstruction.
Il était tout à fait possible d’offrir un avenir à cet édifice, en construisant en son sein des infrastructures nécessaires au projet de campus de l’Université Catholique de Lille.
Et puisque vous semblez être expert en architecture, pensez-vous sincèrement que le bâtiment qui a été érigé en lieu et place de la chapelle soit un témoin du génie de l’architecture contemporaine ?
« Cette construction ne méritait pas qu'on gaspille autant d'argent en procédures »
En somme, vous dites à nos soutiens existants ou potentiels qu’Urgences Patrimoine dilapide leur argent en procédures inutiles.
Sachez cher Monsieur que « l’affaire Saint-Joseph » n’aura pas été celle qui nous a coûté le plus cher. Tout d’abord, parce qu’en ce qui concerne les deux premiers référés, ils ont été pris en charge pro bono par notre avocat, Maître Théodore Catry.
Notre audience en Conseil d’État ? Financée par un mécène privé qui avait lu dans la presse que nous n’allions pas en Cassation par manque de moyens financiers.
Alors oui, lors du second référé, nous avons été condamnés à 1000 euros d’amende qu’il a fallu payer, mais personne ne nous en a voulu, et même Stéphane Bern avait adhéré à l’association en soutien à ce combat hors norme.
D’ailleurs, si nous manquons de soutiens financiers, ce n’est pas parce que nous avons fait une erreur de « casting » avec Saint-Jo, c’est juste que la lutte contre les démolitions fait moins rêver que les projets de restauration, mais de plus en plus de personnes prennent conscience de l’importance de notre travail. Je garde donc le secret espoir que nous allons réussir à poursuivre nos combats, sauf si, bien évidemment des personnes comme vous, s’amusent à discréditer la pertinence de nos actions.
« D'autres causes architecturales méritent votre intérêt »
Sachez que dans la majorité des cas, nous ne choisissons pas nos combats, mais nous répondons aux appels à l’aide d’associations locales, de collectifs d’habitants, de propriétaires et mêmes d’élus, inquiets pour l’avenir du patrimoine bâti ou paysager de leur commune.
Bien sûr, nous sommes dans l’impossibilité de répondre favorablement lorsque l’alerte est donnée trop tardivement, mais lorsqu’il est encore temps de faire quelque chose, alors nous sommes prêts à tout tenter, même dans des cas où l’espoir de réussite et proche de zéro.
Et tant pis si nous défendons « les petits, les sans grades », c’est un choix assumé.
Vous parliez de philosophie ? La nôtre est la suivante : il n’y a pas de grand ou de petit patrimoine, il y a LE Patrimoine. Et aussi longtemps que nous obtiendrons le soutien de ceux qui partagent cette philosophie, alors nous continuerons, sans nous demander si une chapelle désacralisée mérite notre intérêt.
J'ignore si parmi nos lecteurs certains partagent l'avis de Monsieur Pernod, et trouvent que ce combat hors du commun que nous avons mené et que nous menons toujours, peut être qualifié d'affligeant. En revanche, j'invite tous ceux qui trouvent légitimes nos combats contre les "patrimonicides", en particulier ceux commis à l'encontre du patrimoine religieux même quand il s'agit d'édifices désacralisés, à soutenir les actions d'Urgences Patrimoine.
Alexandra Sobczak-Romanski
Présidente d'Urgences Patrimoine