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Un patrimonicide au service du vide

Dernière mise à jour : 13 févr.


La Métropole a présenté jeudi dernier au public le projet du pôle muséal avec les responsables (architectes, conservateurs, responsables des musées…). Nos attentes n’ont pas été déçues. A aucun moment de leur conférence, ils n’ont évoqué le Muséum d’histoire naturelle, ni présenté la moindre photo des magnifiques galeries et de toutes les salles du XIXe siècle (plus d’une dizaine) que la Métropole s’apprête à détruire.


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Peut-être que les responsables sont devenus amnésiques en oubliant l’existence de ce Muséum de 200 ans d’âge ? Peut-être ont-ils honte ? Non, pas du tout.


La vérité est qu’ils n’en ont strictement rien à faire. La Métropole s’apprête à supprimer d’un trait l’un des monuments les plus prestigieux du patrimoine culturel rouennais dans l’indifférence et le mépris le plus total. Rappelons-le encore une fois aux élus, non seulement il est le Muséum le plus ancien, mais il est aussi l’un des plus beaux et l’un des mieux préservés de France. Comment ne pas être scandalisé par la destruction prévue de tous ces espaces, de toutes les verrières du XIXe siècle, des parquets anciens, des menuiseries, de l’escalier d’honneur, de celui à balustre du XVIIe siècle, d’une probable partie de celui en colimaçon dont on ne sait s’il sera gardé sur ses trois niveaux, et bien évidemment aussi du belvédère qui existe dans la galerie d’ethnologie et dont la magnifique vue panoramique sur les toitures de Rouen interroge sur l’intérêt de la construction d’une tour-belvédère, non prévue dans le projet initial d’après Mme Renou.


Vue de l'ancien belvédère

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Et pas un mot bien sûr sur l’âme des lieux, son authenticité, sur la beauté de ces salles anciennes, sur le charme extraordinaire de ce musée de muséum, sur son ambiance unique et irremplaçable qui a émerveillé tant de rouennais et qui sera sacrifié sur l’autel de la modernité. Ce massacre patrimonial est tout simplement inacceptable.

Et tout ça pour quoi ?



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Les photos du projet parlent d’elles-mêmes. Une défiguration des extérieurs avec un rehaussement de l’hôtel des sociétés savantes par un improbable machin en bois d’une laideur consternante (que l’architecte se plaît à comparer aux pans de bois rouennais…), le remplacement des deux entrées actuelles de style baroque et classique par une cage vitrée aussi quelconque qu’un hall d’entrée de supermarché, sans parler de la verrière sur le cloître digne d’une galerie commerciale et des intérieurs intégralement modernisés et épurés, agrémentés d’un mobilier Ikéa.



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Mme Renou parle « d’un compromis entre modernité et conservation du patrimoine ». Sauf que ce projet ultracontemporain efface tous les éléments historiques patrimoniaux en défigurant ce qui restera, comme avec cette tour de quatre étages en plein quartier historique ou la destruction de l’aile en pan de bois du XVIIe siècle du cloître et d’un escalier Louis XIII. Si les architectes avaient présenté un chef d’œuvre d’architecture contemporaine, on aurait pu éventuellement tempérer, mais ils ne nous proposent que ce que nous avons malheureusement l’habitude de voir partout ailleurs.



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Des structures cubiques sans charme ni beauté qui ne respectent en rien le monument. Tout ceci est d’une banalité affligeante.

Mais le pire reste tout de même la « muséographie » proposée. Mme Schneider, co-pilote du projet, nous explique avec fierté que la scénographie a été construite à partir de leur « rêverie citoyenne », une sorte d’animations récréatives réunissant une trentaine de personnes et une dizaine d’enfants d’après les conclusions publiées en ligne, alors qu’elle aurait dû reposer, vu l’ampleur des dépenses, sur un véritable comité scientifique, absent de ce projet comme elle l’a affirmé dans une conférence publique en ligne en 2022.

Selon les désidératas de ce comité populaire, ce musée sera donc « réenchanté » en maison de quartier avec des salles d’animations, de partage, de yoga, un bar, des espaces de jeux pour enfants, avec une scénographie basée sur le principe de « ne pas penser », basé sur le ressenti du visiteur en éloignant les explications des objets, comme on le voit désormais dans la plupart des nouveaux musées très à la mode. Bref, un musée de bisounours infantilisant sans exigence intellectuelle. On appréciera le sérieux et l’ambition scientifique du projet.



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On nous avait proposé « un décloisonnement des disciplines » avec « un parcours innovant » pour justifier la réunification du musée des antiquités et du Muséum mais on nous propose aujourd’hui une muséographie avec une partie consacrée à l’Antiquité et une seconde aux sciences naturelles car bien évidemment les deux collections ne peuvent pas se mélanger. Qu’on nous explique alors pourquoi supprimer les deux musées si c’est pour refaire la même muséographie avec deux ensembles distincts.



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Bref, que Monsieur Mayer-Rossignol explique aux rouennais pourquoi sacrifier ce magnifique Muséum du XIXe siècle dont la valeur patrimoniale exceptionnelle n’est plus à démontrer et que bien des villes envieraient à Rouen, pour un « pôle muséal » sans aucune originalité et qui ressemblera à tous les autres musées contemporains, et tout ça pour 70 millions d’euros ?


Les 4 500 signataires de notre pétition expriment leur profond attachement à ce Muséum et leur volonté qu’il soit intégralement conservé et restauré avec le respect qu’il mérite, tout en apportant des modernisations complémentaires dans de nouveaux espaces, en s’adaptant au monument et à son histoire. Les rouennais aiment leur ville et son patrimoine exceptionnel. Il est consternant que ce soit aux citoyens de se battre pour sauvegarder leur patrimoine et non pas aux élus et responsables en charge de la culture. On comprend mieux pourquoi Rouen n’a pas été élue capitale européenne de la culture.

Rappelons enfin que nous ne sommes ni passéistes, ni nostalgiques, ni des fachistes du passé, mais seulement des citoyens qui veulent transmettre à leurs enfants ces lieux chargés d’histoire et d’authenticité qui font justement toute l’attrait et la richesse patrimoniale de cette ville déjà bien mise à mal durant ces dernières décennies (voir l’immeuble du parvis de la cathédrale, entre autres…).


Frédéric Épaud

Directeur de recherche au CNRS

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